Le Volksfront (4) Scission de l’UPR

Dans le Bas-Rhin, ces élections sont un relatif échec pour l’UPR, puisque le parti perd deux sièges au profit de Hauss et Reisacher, dans les cantons de Seltz et de Barr, mais dans le Haut-Rhin le parti gagne à sa cause trois nouveaux sièges[1]. Ces élections cantonales inquiètent la presse nationale, ainsi le journal La Victoire[2] titre « L’Alsace s’éloigne » et souligne la force de l’UPR, même sans l’apport des démocrates et s’inquiète de l’orientation du parti : « L’UPR est désormais réorganisée sur une base nettement régionaliste-autonomiste et ne comporte plus qu’un proportion extrêmement faible d’éléments gouvernementaux ». Pour le journal, l’idée française vient de subir un nouveau recul, auquel s’ajoute « le grand recul antérieur […] auquel personne ne semble plus songer » et en appelle à la venue en Alsace d’un homme « investi d’un mandat de longue durée, et ayant, de Strasbourg, autorité directe sur les divers services des ministères parisiens chargés des affaires de l’Alsace ».

Car, en effet, ce qui ressort de cette élection, c’est le profond fossé qui s’est creusé entre l’aile droite et l’aile gauche du parti. Elles se sont à peu près partout affrontées avec virulence, et l’affrontement ne cesse guère une fois les élections passées. En effet, lors de la session des conseils généraux, les conseillers UPR de l’aile gauche se joignent aux autonomistes pour proposer aux deux assemblées de formuler des vœux de nature politique et très revendicatifs : annulation des sanctions, amnistie totale pour les condamnés de Colmar, et réformes administratives régionales[3]. Si dans le Haut-Rhin, un compromis fut trouvé, dans le Bas-Rhin, les deux ailes s’opposent sur tout : aussi bien sur la question préalable posée par le préfet, que sur l’élection des membres de la commission. En effet, sur ce dernier point l’aile gauche proposait que les membres soient élus en fonction de la représentation proportionnelle, ce que l’aile droite refuse puisque cela assurerait une représentation aux autonomistes. Cette session sera ainsi le moment où toutes les rancoeurs se cristallisent, la situation « apparaît mûre pour la scission »[4].

Ainsi, à partir de l’assemblée générale de l’UPR du 11 juillet 1928[5], le parti se réoriente dans le sens d’une politique plus strictement alsacienne ; l’aile gauche domine véritablement, à partir de ce moment. Les manifestations de front commun qui ont lieu les mois suivants vont accentuer l’écart qui se creuse avec la tendance « nationaliste » du parti, et qui débouche sur un affrontement brutal lors des cantonales de 1928. De fait, il est impossible à l’aile droite d’accepter l’emprise de l’aile autonomiste sur la direction du parti. Michel Walter, depuis les élections législatives, ne joue plus le rôle de médiateur qui était le sien durant plusieurs années ; il est à présent clairement du côté des régionalistes. Leur emprise se remarque à nouveau  rapidement, quand il s’agit de trouver un successeur au Sénat à Lazare Weiller, décédé en août. Le comte d’Andlau sera ainsi choisi car il a souscrit à toutes les exigences de l’aile gauche : Keppi, Gromer et Walter lui ont fait signer une déclaration extrêmement proche des positions autonomistes.[6]

La scission deviendra officielle le 3 novembre 1928, lors d’une réunion du comité directeur au cours de laquelle les membres de l’aile droite[7] vont demander « l’éviction des membres qui ont manqué gravement à la discipline du parti », à savoir ceux qui ont soutenu des candidats différents de ceux qui avaient été choisi par les sections locales. Sont donc ici visés essentiellement Rossé et Walter. Mais la résolution va plus loin et demande que le parti « repousse toute entente et alliance avec les partis autonomistes et communistes » et dresse « un désaveu public de leurs principes contraires à notre programme ». Il s’agit bel et bien ici d’un véritable ultimatum que l’aile droite adresse à la majorité régionaliste. L’argument du non respect des consignes des sections locales ne tient pas vraiment la route : Gromer n’était-il pas investi par la section locale ? Pourquoi dès lors Kleinclaus s’est il présenté contre lui ? De même, des accords ont certes été trouvés avec les autonomistes, mais avec les communistes ? Les arguments manquent de poids. De fait, il s’agit plus ici de tenter un dernier coup de force : il leur faut à tout prix rétablir l’équilibre entre les deux tendances, par exemple en insistant sur l’incompatibilité entre UPR et communistes, ce qui permet à l’aile droite de rappeler au bon souvenir des électeurs catholiques les recommandations de l’évêque de Strasbourg. Les deux ailes n’arriveront pas à trouver de compromis. La scission est effective.

Par après, le 11 novembre 1928, les leaders de l’aile droite[8] vont adresser une lettre circulaire à l’ensemble des délégués de l’UPR  « afin de leur expliquer leur attitude du 3 novembre », dans laquelle ils désirent « réorganiser le parti sur des bases nouvelles »[9]. Le 17décembre, le nom définitif d’Action Populaire Nationale d’Alsace (APNA) est donné au nouveau parti qui se veut l’héritier du programme de l’UPR de 1919[10].

M. Baechler se demande d’ailleurs dans quelle mesure cette scission n’a pas été voulue par le gouvernement, puisque ce dernier apporte au nouveau parti un soutien financier pour la création d’un nouveau quotidien, l’Elsässer Bote qui a pour but de concurrencer et de contrebalancer l’influence de l’Elsässer et de l’Elsässer Kurier, dirigés tous deux par les membres de l’aile gauche. « Pour le gouvernement, il s’agissait sans doute de crever l’abcès, d’affaiblir l’UPR et d’ouvrir la voie à un regroupement des forces conservatrices nationales en Alsace[11] ». Mais le nouveau parti reçoit également un soutien de poids : celui de Mgr Ruch, qui dans l’Elsässer Bote du 25 décembre 1928 apporte sa caution morale au journal et au nouveau parti. Le succès du quotidien sera par ailleurs de prime abord très important, puisque par exemple dans le Bas Rhin, son tirage dépassera celui de l’Elsässer.

Le programme de l’APNA est publié tardivement, le 19 septembre 1929 dans l’Elsässer Bote. Dès la première phrase, l’APNA se définit comme « un parti politique national qui veut servir la France. En le faisant, elle est en même temps assurée de servir au mieux le bien de l’Alsace ». Si elle préconise comme l’UPR un renforcement du pouvoir exécutif et un mode de scrutin à la proportionnelle intégrale, son programme est nettement en retrait par rapport à celui de l’UPR sur le plan régional. La reprise du programme de 1919 est nette sur les questions religieuses et scolaires.

Somme toute, c’est un programme bien timoré si on le compare à celui de l’UPR de 1928 : moins axé sur les classes populaires, l’APNA apparaît ainsi comme un parti conservateur qui représente surtout les notables, et cherche à mettre en avant des préoccupations nationales.

Durant plusieurs mois, l’UPR et l’APNA se livrent à une véritable lutte d’influence au niveau des différentes sections locales de l’UPR. L’APNA remporte un certain succès durant le premier mois, prouvant qu’elle était mieux préparée que sa rivale : les comités cantonaux de Seltz et Saverne déclarent ainsi adhérer au nouveau parti, et près de la moitié des délégués cantonaux de l’UPR le rejoignent également[12]. Mais, après un certain temps d’hésitation, le Comité directeur réagit enfin en multipliant les assemblées générales dans les cantons et les communes où l’APNA semble forte : l’abbé Gromer et Michel Walter vont ainsi être les orateurs lors de multiples réunions, qui auront pour effet de ramener la discipline dans le parti et de consacrer l’échec du nouveau parti : aucune section locale ou cantonale ne choisira, après ces discours, l’APNA.

A Haguenau, les conséquences de cette scission ne sont guère mesurables, mais le peu de remous qu’elle va créer est symptomatique du peu de perte d’adhérents que l’UPR va connaître. On peut dès lors dire que la section locale de Haguenau est bien tenue par Gromer et Keppi, et aucune personnalité importante de la ville n’a rejoint les rangs de l’APNA.

Ainsi, les erreurs successives du gouvernement français, le durcissement de son action face à l’autonomisme, qui se dévoile avec l’interdiction de la presse autonomiste, l’arrestation le procès puis la condamnation de quelques dirigeants autonomistes, sans pour autant apporter de preuve signifiante de leur culpabilité, tout cela provoque une grave crise dans l’opinion alsacienne, que les dirigeants autonomistes, tel Gromer, vont réussir à imposer la tactique du front alsacien. Michel Walter porte caution à ce programme, dans le seul but de s’assurer sa réélection à la chambre. Il semble dès lors aux dirigeants de l’UPR, comme l’abbé Haegy, que l’UPR se doit de se concentrer sur des thèmes plus fortement régionaliste, sous peine de se voir déborder par les autonomistes de la Landespartei. Dès lors il n’y a plus aucun obstacle à la prise en main du parti par l’aile régionaliste, et la scission devient inévitable. Curieusement, elle sera le fait de l’aile droite : celle-ci, assurée du soutien gouvernemental pour monter un groupe de presse, et confortée par l’adhésion d’une forte frange des cadres de l’UPR, va créer l’APNA, et essayer de faire entendre un programme politique catholique « national ».


[1] Ceux de Guebwiller, Huningue et Habsheim

[2] La Victoire du 3 novembre 1928.

[3] Cf les Procès verbaux des Conseils généraux, session d’octobre 1928

[4] Baechler Christian, op. cit., p. 413

[5] Unterländer n°223-264/1929

[6] E.K du 3.10.1928

[7] M. Weydmann lit dès l’ouverture de la séance une résolution rédigée par les membres de l’aile droite : de Leusse, Oberkirch, Weydmann, Kleitz, l’abbé Hincky…

[8] Pfleger, Oberkirch, Weydmann

[9] AN F7 n°13390, rapport Bauer du 22.11.1928 avec copie de la circulaire en annexe.

[10] Cf Annexes

[11] BAECHLER, op. cit. p 415à 417.

[12] ADBR D 286, p.349, rapport Borromée du 21.11.1928 ; M. Baechler analyse très finement la situation p. 419 op. cit.

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2 commentairesLaisser un commentaire

  1. bonjour Homère,
    ceci n’est pas un commentaire c’est juste une proposition complètement décente : le 21 mars il y a Portes Ouvertes au lycée A. Heinrich de Haguenau et on pourra notamment y voir un film sur la libération de Haguenau, des vrais images d’archives les chars qui passent sur la route de Strasbourg, assorties d’une conférence de M. André Wagner, à 15h, au CDI… Voilà, ce serait dommage de passer à côté si tu es un passionné !!!

  2. Hello,
    Merci de cette information que je me fais fort de relayer! Une très bonne initiative en tout cas!


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